François Dupuy est sociologue des organisations. Il a mené, avec deux collègues, une étude concernant les conséquences du confinement sur le travail des salariés et l’organisation des entreprises entre avril et décembre 2020 et a interrogé plus de 600 dirigeants, managers et employés. Pour lui, il y aura, en terme de structuration des organisations, un "après-crise" encore à définir (ou en émergence), redessinant les contours des pouvoirs au sein de l'entreprise.
Le rééquilibrage des pouvoirs dans l'entreprise
Les dirigeants et la "prise de pouvoir" des managers de proximité
Il y a un consensus pour reconnaitre que, durant le premier confinement, les patrons ont "fait le nécessaire pour assurer la sécurité des salariés" tout en cherchant parfois à "se couvrir". Cependant, pendant cette période, ce sont les managers de proximité qui ont véritablement émergé car ils ont été capables d'assurer la continuité de l'activité, en pratiquant notamment une certains "désobéissance organisationnelle". Il s'est agit de s’exonérer, pour faire son travail, de tout ou partie des règles et process qui régissent habituellement les actions de chacun en particulier dans le "fatras bureaucratique" qui a été traversé (et peut-être l'est-il encore), durant la crise sanitaire. Les managers ont également renforcé leur rôle de soutien en veillant sur l'état de santé physique ou mental des personnes fragiles. Certains ont pu cependant ressentir un manque d'accompagnement durant cette période avec des compétences de management à distance qu'ils avaient parfois peu développées.
Se pose alors la question "post-crise" du re-positionnement de cet encadrement et de l'évolution nécessaire du rôle des managers de proximité au cœur de l'animation et du support tant des équipes que de l'activité. Le retour en arrière vers un système dominant encore certaines organisations et relativement hiérarchique pourrait être difficile.
Le rôle des fonctions supports
Si l'encadrement de proximité a pu se rapprocher des équipes, c'est moins le cas des fonctions dites "supports" bien qu'elles aient, (bien sûr) joué un rôle clé en matière de diffusion d'information et de mesures actives de soutien envers les salariés. Cependant, certaines auraient mené une stratégie d'accentuation et de renforcement de l'appareil réglementaire (rendant la "désobéissance organisationnelle" d'autant plus nécessaire pour faire faire face aux difficultés quotidiennes), d'autres auraient plutôt adopté une stratégie d'atténuation visant à accepter les dérogations à la règle pour la bonne marche des unités de travail. Les pouvoirs se sont donc davantage équilibrés en faveur de l'encadrement de proximité en tendant à démontrer que la bureaucratie pouvait plutôt être un frein à l'activité opérationnelle.
Vers de nouvelles organisations du travail
Des organisations mixtes ?
La voie est ouverte vers des organisations mixtes (souvent 3 jours de présentiel et 2 jours de télétravail ou inversement). Les salariés ne demandent pas pour autant 100% de télétravail (en général), bien conscients de certains écueils ou difficultés vécues durant le confinement (moindre lien social voire isolement pour certains, perte de l'ensemble des relations et informations informelles mises à mal par la distance...).
De plus, François Dupuy souligne que les jeunes ne sont pas "demandeurs" de davantage de télétravail, sentant bien le besoin d'entrer en contact avec l'entreprise et d'apprendre au contact des gens.
Les équipes dans leur ensemble ont appris dans cette crise "le sens concret de l'autonomie au travail", autonomie que les salariés tout autant que les managers de proximité (sous réserve d'accompagnement parfois), souhaiteront préserver. De plus, dans nombre d'organisations, selon François Dupuy, "la confiance a pu être expérimentée avec succès".
Vers un dialogue social plus averti
Avec de nombreux accords de télétravail signés ou en cours de signature (20 000 ont été signés en France), les salariés et les syndicats qui ont expérimenté cette façon de travailler savent désormais de quoi ils parlent. Ils sont plus à même de négocier et ces négociations sont plus argumentées qu’avant.
De plus, les salariés, ayant goûté une certaine autonomie, ne souhaiteront pas revenir à un système de "command and control" antérieur. Ils ont désormais des attentes et une vision très précise du mix distanciel et présentiel à atteindre pour parvenir à une bonne efficacité et un certain "confort" de travail.
Conclusion
La crise sanitaire a impacté le travail et les organisations à de nombreux niveaux : structurel, organisationnel, révision des rôles de chacun, agencement spatial (allocation des bureaux...), interrogations personnelles sur le sens du travail... Déjà, semblent se redessiner de nouveaux contours pour les organisations de demain. L'un des défis sera d'articuler les besoins de chacun en combinant harmonieusement le besoin de cadre et celui de flexibilité.
A noter que François Dupuy a travaillé au CNRS, à l’Insead et dans de nombreuses universités à travers le monde. Auteur de « Lost in Management » (Seuil, 2011), il a également publié récemment « On ne change pas les entreprises par décret » (Seuil, 2020)
Sources :
- Travail & sécurité – n°825 – avril 2021
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